J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… Comme Jeanne Moreau, vous avez peut-être le sentiment qu’au fil du temps, le vieillissement finit par attaquer vos neurones et par envelopper vos souvenirs d’un inquiétant brouillard… Pas de panique ! Contrairement à l’idée largement répandue, le fait de vieillir n’implique pas une perte inéluctable de la mémoire. Et la difficulté à se souvenir n’est pas forcément un signe de dégénérescente cérébrale, ni d’Alzheimer rampant. Des doutes ? Le Pr Hélène Amieva est psychogérontologue, épidémiologiste et membre de l’Observatoire B2V des Mémoires. Dans le deuxième épisode du podcast Tout sur la mémoire, disponible depuis peu, cette spécialiste nous apporte ses éclaircissements et nous donne des clés pour préserver notre mémoire efficacement. Explications et extraits.
1.Vieillir, c’est forcément perdre la mémoire. FAKE !
La mémoire ne vieillit pas, elle évolue ! Qui dit mémoire, dit forcément cerveau, et ce dernier a son propre rythme. On l’ignore souvent, mais le cerveau atteint sa pleine maturité autour de 25 ans. Avant, il se construit, s’organise, et une fois ce cap franchi, des changements progressifs commencent à apparaître. Ces transformations diffèrent d’une personne à l’autre et surtout, elles répondent aux besoins variés de chaque étape de la vie, façonnés par nos expériences et nos besoins. À 20 ans, le cerveau est dans une phase d’exploration intense : études, premières expériences professionnelles, relations sociales… L’envie d’apprendre est alimentée par la nouveauté constante, et la mémoire se charge de nouvelles informations à un rythme effréné. En vieillissant, les besoins changent. Le besoin d’apprendre devient moins urgent, et notre mémoire a accumulé une quantité colossale d’informations au fil des ans : souvenirs, savoirs, expériences. Le véritable défi n’est plus d’apprendre, car cette capacité reste intacte tout au long de la vie, quel que soit l’âge, mais plutôt de parvenir à retrouver efficacement une information précise dans ce « réservoir » d’informations. Ce processus de tri demande parfois un peu plus de temps, voire un coup de pouce si nécessaire.
2.L’oubli est un mécanisme normal et indispensable. INFO !
Avec l’âge, l’oubli devient un phénomène courant : c’est un mécanisme normal, et même indispensable, qui fait partie intégrante du fonctionnement de la mémoire. Il permet de faire de la place, comme on trie des photos, pour ne garder que les plus précieuses. Contrairement à un ordinateur, notre mémoire ne stocke pas tout indifféremment, et c’est ce qui la rend si performante et humaine. Vieillir, c’est donc avoir une mémoire qui se transforme et s’enrichit, plutôt qu’une mémoire qui s’éteint. Il existe différents types d’oubli. Le premier est l’oubli temporaire, une information que l’on sait avoir, mais qui est momentanément inaccessible. Cette difficulté à la retrouver n’est pas un véritable oubli, car il suffit souvent d’une discussion, d’un indice, pour que l’information ressurgisse. Le second type d’oubli, plus préoccupant, est celui où l’on a l’impression qu’une information est complètement effacée de notre mémoire, comme si nous ne l’avions jamais vécue. Ce type d’oubli est normal de temps à autre. Mais s’il se répète fréquemment, cela peut être le signe d’un problème plus sérieux, comme un trouble neurocognitif.
3.Les capacités de notre mémoire se dégradent avec l’âge. FAKE et INFO…
Certaines de nos capacités mnésiques (autrement dit, de la mémoire, Ndlr) résistent remarquablement bien au passage du temps et continuent même de se renforcer et de s’enrichir. C’est le cas de la mémoire épisodique, celle des souvenirs personnels. Bien qu’on puisse avoir plus de mal à se souvenir de certains détails avec l’âge, les souvenirs de longue date restent souvent bien ancrés. La mémoire procédurale, celle des gestes, reste également intacte. Qu’il s’agisse de chanter, de jouer d’un instrument ou de cuisiner, ces compétences se solidifient avec l’expérience et sont moins affectées par le vieillissement. Enfin, la mémoire sémantique, celle des connaissances générales, devient véritablement un atout au fil des années. Des études montrent que les personnes de 65 ans et plus surpassent souvent les plus jeunes lors de tests, car elles ont accumulé et consolidé un grand nombre de connaissances tout au long de leur vie.
4.L’âge est le seul facteur qui impacte la santé de notre mémoire. FAKE !
Il n’existe pas de modèle unique de vieillissement de la mémoire. Chaque individu suit une trajectoire unique, influencée par une multitude de facteurs : ses habitudes de vie, ses activités de loisir, son environnement social et, bien sûr, son patrimoine génétique. L’âge n’est qu’un des éléments parmi d’autres. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible d’agir à chaque étape de sa vie, pour préserver sa mémoire et réduire les risques de déclin cognitif. Comment ? En adoptant une hygiène de vie saine, en limitant le tabac et l’alcool, et en surveillant des paramètres de santé comme le cholestérol, le diabète ou l’hypertension, on crée un environnement propice au bien-être cérébral. L’activité physique régulière est également un facteur protecteur important. Elle enrichit la réserve cérébrale et stimule la plasticité du cerveau, ce qui est essentiel pour maintenir les capacités cognitives. Enfin, la qualité des interactions sociales est un autre facteur clé. Engager des conversations, échanger des idées, partager des activités avec les autres sont autant d’exercices cognitifs très stimulants. Ces échanges renforcent notre capacité à élaborer une idée, à argumenter, à nous adapter aux réactions de l’autre, stimulant ainsi les fonctions cognitives. À l’inverse, l’isolement social entraine un manque de stimulation, favorise la rumination et peut limiter la plasticité du cerveau, ralentissant son fonctionnement et sa capacité à se maintenir en forme.
5.On finira tous avec un Alzheimer… FAKE !
La maladie d’Alzheimer est souvent confondue avec un vieillissement naturel de la mémoire. Mais cette maladie n’est ni une fatalité, ni une conséquence inévitable. En réalité, il s’agit d’une maladie multifactorielle, dont les facteurs de risque peuvent être d’origine génétique, métabolique, psychosociale ou liés aux habitudes de vie. L’âge est certes un facteur de risque majeur, le nombre de cas augmente fortement après 85 ans, mais il ne suffit pas à expliquer son apparition. Vieillir ne signifie pas nécessairement développer la maladie d’Alzheimer.
Bon à savoir : focus sur le Village Landais Alzheimer
Certains dispositifs innovants, comme Le Village landais Alzheimer à côté de Dax, misent sur l’importance des liens sociaux et de la participation à des activités pour ralentir l’évolution de la maladie d’Alzheimer chez ses résidents. Architecture adaptée, interactions sociales variées et régulières, environnement stimulant, présence de nombreux bénévoles aux côtés des équipes soignantes et salariées… : ce dispositif expérimental, unique en France, favorise un cadre de vie actif et humain. Porté par le Département des Landes à l’initiative de l’homme politique Henri Emmanuelli, aujourd’hui décédé, il a vu le jour en 2020 et accueille 120 résidents. Le Village abrite également un centre de ressources et de recherche. Dans ce cadre, un programme de recherche (dirigé par le Pr Amieva) est en cours, afin de mesurer l’impact de cette initiative innovante dans la prévention d’un déclin cognitif rapide. Des études multidimensionnelles sont menées pour analyser la qualité de vie des résidents et des professionnels, leur participation sociale, leur santé, l’efficacité du modèle socio-économique et sa reproductibilité. Et les premiers résultats sont prometteurs : peu ou pas de déclin cognitif, une qualité de vie préservée et une réduction des troubles du comportement.
À propos de l’Observatoire B2V des Mémoires
Créé en avril 2013 par le groupe de protection sociale B2V, l’Observatoire B2V des Mémoires étudie la mémoire sous toutes ses formes : individuelle, collective, numérique… Son conseil scientifique réunit des chercheurs en neurosciences et en sciences humaines, parmi lesquels le Pr Hélène Amieva. Les actions menées au sein de ce véritable laboratoire sociétal visent à favoriser la prévention à travers deux grands axes : soutenir la recherche et informer le grand public à travers, notamment, de la création de la Semaine de la Mémoire. Son fonds de dotation a également financé les podcasts « Mémoire, dis-moi qui je suis ? » et « Tout sur la mémoire, le podcast ». De vraies mines d’informations !